NATIONALE 7
A ma grand-mère paternelle qui me manque chaque jour un peu plus.
Des routes étroites et cahoteuses,
Vailly-Lyon, Lyon-Vailly,
Une voiture noire fend la brume matinale.
Il y a urgence,
Urgence médicaments.
Dans les années cinquante,
Une femme moderne et cinglante,
Telle une lionne, pleine de force et de courage,
A l’esprit acéré,
A l’humour salvateur et libérateur,
Fonce sur le bitume.
Le paysage file et défile,
Sans qu’elle ne s’en aperçoive.
Comme le fil de sa vie,
Qui se déroule sur le ruban.
Lyon, le pays de son enfance, le pays du tout début,
De la grande et belle histoire d’amour,
Egratignée par l’Histoire et les incartades.
Vailly, son homme et les bêtes qu’il sauve,
Il n’y a plus que cela qui compte.
Retour en arrière pour aller de l’avant.
Laisser derrière elle au retour,
Ses premières amours :
Ses parents, ses montagnes, l’encre et le fusain,
Pour tracer le chemin du futur.
Ne pas perdre le fil,
Le fil de sa vie.
Des allers-retours pour mieux retrouver ses racines.
Le trajet du lien devenu vital,
Pour mieux affronter sa réalité.
Réalité d’une histoire naissante idéalisée,
Tombée dans la banalité des tromperies et renoncements.
Une femme à la trempe d’une Marguerite Yourcenar,
Un Frison Roche qui s’ignore.
Son homme qu’elle aime,
Avec ses frasques et ses travers,
Elle était l’élue,
Pour construire une histoire.
Affronter la guerre, les déboires,
Accepter les rivales sans se consumer dans la jalousie.
Le monolithe qui jamais ne cèderait,
Quoiqu’il lui en coûte.
Qui toujours encaisserait,
Sans rien laisser entrevoir.
Garder le cap pour les siens préserver.
Son homme, plongeant dans les abîmes du jeu et de la frivolité,
Les jeux de l’amour et du hasard,
Pour être reconnu ou rassuré
Pour mieux oublier sa solitude immense,
Lui l'enfant unique, aux proches très tôt disparus.
Son passé effacé, refoulé ? laissait un grand vide,
Une béance pour étayer son avenir,
Son homme, grand et solide comme un roc,
Ce roc lézardé par la déesse Io dans un dernier sursaut.
Beau et généreux à se perdre,
Courageux et engagé pour terrasser l’aigle nazi.
Sa personnalité écrasante cachait une fragilité, une fêlure.
Vailly-Lyon, Lyon-Vailly,
Intermède à la monotonie,
Des passions sacrifiées.
Pour toute entière se consacrer,
A lui, à ses descendants.
Petits-enfants qu’ils ont adorés et choyés
Comme pour mieux rattraper le temps à jamais perdu,
De leur quatre enfants délaissés,
Dans les tourbillons du métier :
Urgences fièvre aphteuse, urgences vêlage.
Ce métier jamais partagé.
Demeurer le pilier de cette famille à porter.
De leurs passions maudites ou refoulées,
Ils ont chacun inoculé,
Tantôt le feu de Pégase,
Tantôt le feu de l’art,
Ou les deux à la fois.
Tous seront ensemencés jusqu’à la fin des temps.
Riches de cette histoire pour en éviter les écueils,
Pour mieux comprendre ce qui nous habite,
Ne jamais les oublier pour ce qu’ils nous ont apporté.
Nationale 7, cordon ombilical familial.
Chacun l’emprunte pour s’y ressourcer.
Les uns remontent, les autres descendent,
Lieu de convergence,
Pour puiser les forces qui défaillent,
Trouver le soutien dans la tourmente.
Un asile pour mieux repartir,
Retrouvailles pour la fratrie.
Lieu de tous les maux et pour les mots.
Vailly, le phare indestructible,
Que toutes les tempêtes n’ont pu affaler.
Aujourd’hui la flamme s’affaiblit,
Chaque jour un peu plus.
Nous laissant tous orphelins et désemparés.
Notre monolithe peu à peu s’effrite,
Déraciné et déboussolé,
Devant nous impuissants et plein de culpabilité,
Orphelins d’amour et de tendresse,
Orphelins des piques qui aiguillonnent ou désarçonnent parce que trop acides,
Orphelins de son humour incomparable.
Nationale 7, route mythique.
Nationale 7, route de notre histoire familiale.
Nationale 7, pour nous ne sera jamais dépassée.
Pour toujours nous raccordera à notre passé.
Souvenir éternel,
De nos parents et grands-parents, deux géants,
Plein de tolérance malgré de hautes exigences.
Qui ont su tenir le cap avec leurs qualités et malgré leurs faiblesses.
12-2006